Tous les articles par charlottep

Le projet de Victorine, girafe monumentale

La Revue de la Céramique et Verre  nov 2014 page 3La Revue de la Céramique et Verre  nov 2014 page 4
charlotte histoire d'une girafe
Christine Morrier, Directrice du Parc zoologique d’Amiens, m’a suggéré en juillet 2011 une exposition de mon bestiaire dans le Parc. Cette proposition m’a fait réfléchir, et je lui ai proposé de travailler sur deux girafes de grande taille. Dès l’automne j’ai écrit mon projet.
Début 2012, j’ai pris contact avec deux ateliers, l’un en France, l’autre au Danemark, susceptibles de m’aider à réaliser des girafes de 3,50 m. Mon idée était de faire de ce projet une histoire entre le Danemark et la France. Tommerup Keramiske Vaerksted au DK. m’a proposé un premier devis chiffré. Au Danemark je suis allée voir un architecte, pour me renseigner sur différents points liés à cette construction.
L’étape suivante a consisté à trouver un financement. En juillet 2012, je suis allée à Amiens rencontrer Christine Morrier. L’idée nous est venue d’associer à ce projet un Parc Zoologique au Danemark. Le premier choix s’est porté sur le Zoo de Odense, tout près de l’entreprise danoise où les girafes pourraient être réalisées. J’ avais déjà visité ce parc et admiré leurs belles girafes. Quand, j’ai pris contact avec le directeur en automne 2012, je lui ai proposé de le rencontrer. En janvier 2013, il m’a téléphoné pour me dire que mon projet ne correspondait pas à leur planning pour le moment.
Entre temps, j’ai préparé une exposition à la Galerie Iroha à Dordrecht aux Pays-Bas pour le mois d’avril 2013.
Le 25 mai, jour de forte pluie, j’ était dans mon atelier quand j’ai aperçu 4 personnes dans ma cour. Ils m’ont demandé si je créais des animaux de grande taille, Aussitôt j’ai pu leur présenter mon projet et ils m’ont répondu simplement « ça nous intéresse« . Au mois d’octobre le contrat et le calendrier étaient signés. Véronique et Jean-Louis Delvaux ont souhaité que la girafe soit construite en France.
Victorine sera la première.

STAGES

P1030173

Pendant mon parcours au Beaux Arts à Aarhus entre 1969-1973, j’ai suivi des cours de pédagogie afin de pouvoir enseigner plus tard.

Fin été 1978 mon ancien professeur de céramique m’a proposé de postuler pour le remplacer pendant deux ans. J’étais responsable de la section céramique « grès et porcelaine » à « Aarhus Kunst-Akademi »

En 1981, je me suis réinstallée à La Borne et pendant quelques années je me suis consacrée à mon atelier et à ma famille. Il y a toujours eu des jeunes qui voulaient apprendre ce métier. Ils passaient dans mon atelier et restaient pendant des périodes plus ou moins longues pendant lesquelles j’ai eu le plaisir de leur transmettre en partie mon savoir acquis.

Entre 2003 et 2008 J’ai accédé à la fonction de « de maître de stage » pour des élèves en formation à « La Maison de la Céramique à Dieulefit », région Rhône-Alpes.

« Maitre de stage » signifie suivre et conseiller les étudiants pendant leur formation. La relation qui se noue avec les élèves est privilégiée puisqu’ils habitent un moment chez toi ce qui permet de transmettre les connaissances et de leur faire vivre ce métier « sur le tas ».

Depuis 2002 j’anime des stages à La Borne, des stages orientés vers le modelage animalier. Ce thème m’a intensément inspiré pour mes propres pièces; j’ai essayé d’insuffler une bouffée de vie dans chacun de ces êtres singuliers. Les deux regards qui se croisent, celui de la Danoise et de l’autre qui n’est plus tout a fait Danoise, m’aide à prendre du recul.

Travailler avec les autres sur ce thème animalier me pousse à mieux formuler ma pensée ; qu’est que je cherche ? Qu’est que je souhaite exprimer ? Qu’est que je cherche à faire comprendre et partager ?

J’ai d’abord souhaité me rendre près de la nature de l’animal. Je suis allée à la médiathèque chercher de la documentation, puis au Zoo. La deuxième approche, je l’ai trouvée dans des livres et dans les musées. Il y a des animaux stylisés magnifiques. Ils sont inscrits dans l’histoire de Égypte, de l’Iran et de la Turquie.

Le troisième aspect était d’aborder ce thème de manière abstraite. Là j’ai trouvé l’inspiration dans les œuvres d’artistes contemporains.

Les rendez-vous dans mon l’atelier, entre moi la céramiste et l’argile, peuvent être des moments intenses de création et de bonheur, mais aussi des moments solitaires où seulement le radio m’accompagne comme une petite fenêtre ouverte sur le monde.

Il y a des jours où je me demande à quoi ça sert, tout ce temps passé ! Gagner ma vie bien sur.. Mais je cherche un sens à tout ça..

Le rencontre avec l’autre est essentielle, le plaisir de pouvoir lui proposer mon expérience, de me confronter à son point de vue et d’échanger avec lui ses idées et son regard. Tous ces moments de rencontre très forts sont possiblse à La Borne, dans mon atelier, autour des cuissons chez les uns et les autres, de « workshops » avec des céramistes français ou étrangers du monde entier, d’installations d’expositions à La Borne où ailleurs, sont riches d’expériences.

C’est mon plaisir de partager ces morceaux de vie.

Comment je me suis intéressée à la girafe

Dans mon pays d’origine le Danemark, les paysages sont des perspectives lointaines. Des collines et des plaines ondulent en lignes douces qui plongent vers les côtes. Les points les plus élevés sur l’horizon appartiennent à l’univers de l’architecture comme le phare, les voiles des bateaux gonflées par le vent, la tour (ancienne ou moderne) et actuellement l’éolienne.

À partir de 1995, j’ai travaillé sur des formes longues et étroites, ovales et rondes autour de thèmes marins. Ces œuvres font toutes partie d’une famille de pièces horizontales. Quand Torbjørn Kvasbo, céramiste norvégien, m’a parlé de ses montagnes proches comme étant la source de son inspiration, j’ai compris la difficulté pour moi d’inventer les formes hautes et c’est en suivant le cou de la girafe, que j’ai gagné en verticalité. À partir de ce moment, j’ai commencé à m’intéresser à la girafe et son histoire et les premières créations à long cou sont sorties de mon atelier.

En juillet 2000, empruntant son titre à Jacques Prévert, j’ai préparé, sur ce thème, une première exposition intitulée « L’Opéra des Girafes » au « Centre Céramique Contemporaine de La Borne », France. Autour d’elle, tout un bestiaire a surgi, antilope, hippopotame et oiseau. Et bien d’autres encore, mais la girafe est restée la maîtresse de cette troupe.

Entre 1998 Et 2003 je me suis fortement engagée dans «l’association des céramistes de La Borne ». Nous avons travaillé sur l’élaboration d’un projet comportant « un futur Centre Céramique » à la hauteur de la réputation du village. Le 5 octobre 2000, Jacques Chirac, Président de la République Française, a reçu en cadeau une girafe lors de sa visite chez nous dans le Cher. Le département m’a photographiée tenant une girafe dans les bras, et a utilisé cette image sur ses documents de promotion pour le tourisme, ainsi que pour une grande campagne d’affichage dans le métro de Paris entre 2000 à 2003.

Durant l’année 2007, nous avons programmé à La Borne les 10èmes « Rencontres Internationales Céramiques ». J’ai invité deux céramistes, une Autrichienne, Eva Haudun, et une Danoise, Charlotte Thorup. Pour cet événement j’ai réalisé, parmi mes pièces, deux girafes de 1,10m de hauteur. En juillet 2011, Christine Morrier, la Directrice du Parc Zoologique d’Amiens, m’a téléphoné, pour me proposer d’exposer mes animaux dans le parc. L’idée que j’avais en moi de réaliser quelque chose de grand a surgi, et je lui ai suggéré de travailler sur un projet de deux grandes girafes de 3m60. Je ne peux pas réaliser dans mon atelier des pièces de cette hauteur, alors au mois de janvier 2012, j’ai pris contact avec une ancienne tuilerie à Tommerup, sur l’île de Fyn au Danemark. Cet atelier s’est spécialisé dans l’aide des artistes à construire et cuire des pièces de grande taille. Le responsable Monsieur Espen Lyngså Madsen a été très intéressé par ce projet. Je désire que ce projet soit un projet franco-danois, car depuis longtemps je voyage entre les deux pays, et mon histoire s’inscrit là. Une girafe représentera la France, l’autre, le Danemark. En 1997, j’avais organisé une exposition avec cinq céramistes danois à La Borne.

En 2004, nous avons instauré au « Centre Céramique Contemporaine de La Borne », les 8ème « Rencontres Internationales Céramiques » à l’honneur du Danemark, treize céramistes danois sont venus participer à ce moment fort. Quand j’ai parlé à Christine Morrier, elle m’a tout de suite cité les zoos de Copenhague et Odense, au Danemark, où elle est allée. Tommerup Teglvaerk (la tuilerie où les girafes peuvent être créées) se situe tout près du Zoo d’Odense. Alors j’imagine que les girafes y feront une visite avant d’entamer leur voyage vers Amiens en France.

Plusieurs lectures et réflexions ont nourri ce projet. Karen Blixen, en observant la girafe au Kenya, a eu ces mots superbes : « La girafe ressemble tellement à une dame que l’on évite de penser à ses jambes, mais elle laisse le souvenir de glisser au-dessus des plaines, vêtue de longues étoffes et de la brume matinale, comme un mirage ». Il y a la magnifique description du voyage de « La Girafe de Sennar » offert au roi de France, Charles X, en 1826 1 : Entre 1821 et 1827, Bernardino Drovetti est consul de France en Egypte. Conseiller également du vice-roi Mohammed Ali Pacha d’Egypte, il lui suggère d’offrir au Roi de France une Girafe, la première sur le sol français. Ce cadeau devait apaiser le regard du Roi de France sur un souverain égyptien qui s’était allié au Sultan Ottoman dans une guerre qui réprime la révolte des Chrétiens de Grèce. Cette « Fameuse Girafe », d’origine de Sennar, née dans les hautes savanes au sud-est du Soudan, a parcouru en compagnie de son gardien soudanais les 3000 kilomètres qui séparent Sennar d’Alexandrie. D’abord, elle fut embarquée sur une felouque et descendit le Nil bleu jusqu’à Khartoum, puis elle fit le voyage de la Vallée des Rois jusqu’à Alexandrie. De ce port, elle a embarqué à destination de Marseille. À pied elle a accompli les derniers 800 kilomètres qui la séparaient de Paris, où elle est arrivée à la fin du mois de juin 1827 et où elle a vécu jusqu’en 1845 à la Rotonde, au Jardin des Plantes.

Pourquoi la Girafe ? À quoi sert la Girafe ?

Le philosophe et sociologue Charles Fournier 2 a consacré une page de ses œuvres à répondre à cette question. Il fait d’elle « le hiéroglyphe de la Vérité dans le règne animal puisque le propre de la Vérité est de surmonter les erreurs, il faut que l’animal qui la représente élève son front au-dessus de tous les autres ». « La girafe est décrite comme douce, agréable à voir et moult belle, mais la Vérité qui est aussi moult belle ne saurait s’accorder à nos usages, il faut que la girafe, son hiéroglyphe, ne soit d’aucun emploi dans nos travaux. Dieu l’a donc réduite à la nullité même, son corps disproportionné entre le train avant et le train arrière lui donne une démarche irrégulière, qui agite tout fardeau, dès lors on la laisse dans son inaction. » « D’ailleurs, poursuit le philosophe, c’est bien pis en affaires politiques où la Vérité a encore moins d’essor, et pour représenter cette compression de la Vérité, cet obstacle invisible à ses développements, Dieu a tranché les bois de la girafe à leur racine ; ils ne font que poindre et ne peuvent étendre leurs rameaux. Le ciseau de Dieu les a coupé à leur base comme parmi nous le ciseau de l’autorité et de l’opinion abat la Vérité à son apparition et lui interdit tout essor ». Fournier conclut : « On voit par cette explication que Dieu n’avait rien créé d’inutile, même dans la girafe qui est l’inutilité parfaite ».

De tous les animaux terrestres, la girafe est celle qui a les plus grands yeux. Sa prodigieuse acuité visuelle lui permet d’identifier ses congénères et de communiquer avec eux à plus d’un kilomètre et demi de distance, au-delà de la portée du son ou des odeurs. C’est sans doute ce qui lui donne cet air de dignité distante. « Les girafes semblent douées d’un inexplicable sixième sens, une sorte d’intuition prémonitoire qui a déterminé les Égyptiens de l’Antiquité à s’inspirer de sa silhouette pour le hiéroglyphe signifiant « prédire » » 3

La girafe, d’abord je l’observais d’en bas. Elle m’a permis d’oser faire des pièces hautes. Pour la modeler et pour mieux la comprendre je suis rentrée dans sa peau. En escaladant son cou, elle m’a permis de là-haut un regard précieux vers le bas et le lointain. La Girafe est muette, elle ne protestera pas et ne dira rien.

1 : La Girafe de Charles X, de Michael Allin, Mémoire de l’Histoire, Éditions : Sélection du Reader’s Digest. 2 : Une girafe pour le roi de Gabriel Dardaud, Éditions : Dumerchez-Naum. 3 : Fournier Charles, Oeuvres complets t. I. Éditions Anthropos.

ARRIVÉE A LA BORNE

Premiers contacts avec La Borne dans le Berry

Je me souviens de mes premiers contacts, si fortement ressentis, à la découverte de cette petite communauté passionnée par ce grès, à La Borne dans le Berry.

C’est au Danemark, à Djursland, que j’ai rencontré les céramistes Birgit et Rocca Knupfer, ce dernier d’origine française).

Dans leur atelier j’ai pu découvrir la céramique et effectuer mon premier stage. Quelques année plus tard, c’est encore chez eux, que j’ai pour la première fois entendu parler de La Borne ! Pays du grès et de la cuisson au bois. J’étais à cette époque à l’école des Beau Arts d’Aarhus (DK). J’ai décidé d’aller, pendant les vacances d’été suivantes, chercher du travail à La Borne. J’ai proposé à Barbara Katzen de Connecticut, qui était en cours avec moi de m’accompagner. Nous avons pris l’avion jusqu’à Paris, le train de Paris à Bourges, le car de Bourges à Henrichemont. A Henrichemont, un vieux monsieur a proposé de nous conduire dans sa 2CV à La Borne. Il n’y avait pas de car. Le lendemain nous avons fait le tour des ateliers pour trouver du travail. Le soir même j’ai eu une réponse favorable de Pierre Mestre, céramiste et sculpteur à La Borne.

Chez Mestre nous étions 5 à travailler pour lui. Élisabeth, une femme suisse, était engagée dans l’atelier de tournage avec moi. P. Mestre avait créé des petites séries de pièces soigneusement pensées et élaborées. Les yeux noir de Pierre s’illuminaient quand il m’expliquait le sens et l’exactitude de ses formes. J’ai tourné de mazagrans, des bols et des vases. Le tour sur lequel je tournais était désaxé, mais on si habitue et le défi est d’avantage mérité.  Il y avait dans l’atelier, deux garçons, qui s’appelaient tous les deux Jean.  L’un s’occupait du potager, c’était une tache très importante pour notre alimentation à tous. Nous prenions les repas ensemble à midi dans la petite cuisine au premier étage, au dessus de l’atelier. Quand il faisait beau nous déjeunions sous un grand arbre dehors. Les repas étaient composés de riz complet, œufs et salades composées. Nous étions heureux de vivre. Les deux « Jean » assistaient P. Mestre dans la préparation de ses terres et la construction de ses grandes pièces. Des pièces monumentales naissaient sous nos yeux.

J’étais absorbée par ce monde qui me passionnait déjà. Il y avait aussi Michel Leparreur qui fendait et préparait le bois pour les cuissons. Il ne faudrait pas oublier Simone, la compagne de Pierre, mais que nous voyions rarement, elle était au premier étage.

A l’époque il y avait deux ateliers à La Borne qui prenaient des stagiaires. L’atelier de Pierre Digan et l’atelier de Pierre Mestre. Chez P. Digan Les horaires étaient stricts de 8 à 12h. de 14 à 18h. Chez P. Mestre, il n y avait pas d’horaires, mais il y avait une atmosphère et des projets passionnants qui ce sont réalisés.

La cuisson était le moment attendu, et pour moi plein de mystère ! Je n’avais jamais assisté à une cuisson au bois. D’abord c’était très intéressant de participer à l’enfournement des pièces, des plus grandes aux plus petites. Le four (type de Sèvres  3 m3) de Mestre était la seule à La Borne à posséder une porte, les autres fours se fermant avec des briques. Le bassinage (c’est le début de la cuisson, il sert à faire sortir le dernière humidité des pièces), dure environs 12 heures. Ensuite le petit feu qui démarre vers 300° environ et dure jusqu’à 850°. Là commence le grand feu qui sera alimenté avec du bois fendu en de fins morceaux qui s’allument immédiatement et dégagent beaucoup de chaleur. Le four monte en température et atteint les 1280-1300°.

La cuisson est une « traversée » dans le temps (36 heures environ). Toute l’équipe vivait ce moment ensemble : ce temps nous permettait de découvrir, de nous poser des questions, de nous étonner, d’échanger, de nous inquiéter, d’être généreux ou pingres. Il y avait aussi la place pour le rire ou une histoire. Nous avons eu des visites, par exemple celles  d’Élisabeth Julia ou de Vasil Ivanof, pour nous faire part de leurs sentiments sur la cuisson.

Après il y a la fatigue, l’attente et l’espérance. Le défournement se passe 4 ou 5 jours plus tard quand la dernière braise est devenue noire et que le four a refroidi.

Expositions permanentes et à venir

 Expositions permanentes:

Galerie de l’Ancienne Poste à Toucy, Yonne (89)

Centre de Céramique Contemporaine à La Borne (18)

Galerie du Don du Fel, Pôle Européen, Aveyron (12)

Galerie Iroha , Dordrecht, Pays – Bas

Galerie Geneviève Godar, Lille (59)

Talents Opéra – 1 bis rue de Scribe 75009 Paris

Expositions à venir

Du 19 avril au 21 mai 2015

 Galerie du Don

Le Don du Fel Pôle Européen – Aveyron (12)